Résumés

Résumés des interventions

Par titres des ateliers

 

Par intervenants

 

 

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Lundi 31 août 2015, Conférence salle 1 : Lia Formigari , L'empirisme et ses opposants. Trois cas d'étude en philosophie du langage.

Après une brève introduction qui a pour but de définir la notion d'empirisme et de ses opposés, je vais examiner trois moments du conflit entre empirisme et rationalisme dans les théories du langage: 1) la critique de Herder à Kant (Metakritik zur Kritik der reinen Vernunft, 1799); 2) le débat sur le nativisme dans la philosophie allemande au tournant du 19 siècle (Anton Marty contre Heymann Steinthal, Hermann Paul, Wilhelm Wundt); 3) le débat centré sur le binome instinct/apprentissage, commencé aux années 1990 et toujours en cours. Ces épisodes ne sont pas liés les uns aux autres du point de vue de l'histoire. Ils sont donc un bon exemple de la façon dont un même modèle théorique (l'empirisme, dans ce cas) et ses opposants peuvent se reproduire à des moments différents, et avec différents styles de pensée, a fin de résoudre un problème récurrent (dans ce cas, la question de l'origine des composants actifs dans la formation de la parole).

Lundi 31 août 2015, Atelier salle 1 : Esprit et langage: de l'Antiquité à l'Âge classique.

Hugo David, En quel sens le langage est-il cause de la pensée ? Autour de la notion d’« objet » (artha) de la parole dans la pensée indienne médiévale.

La notion d’un objet (artha) de la parole constitue, pour la plupart des théoriciens indiens médiévaux, le moyen terme entre l’ordre du langage (la parole, śabda) et l’ordre du mental (la connaissance, jñāna). La manière la plus fréquente pour ces auteurs d’envisager la signification est en effet de considérer la parole comme la cause d’une connaissance inédite chez l’auditeur, la « connaissance verbale » (śābdabodha), dont une des caractéristiques est de porter sur un objet qui n’est pas (ou du moins, pas nécessairement) en contact avec les sens. La parole se trouve ainsi dans une double relation de causalité (kāraṇatā) à l’égard de la pensée et de visée (viṣayatā) par rapport à un objet situé hors de la pensée. Mais est-il si évident que toute parole correspond ainsi à un « objet » ? Quel est, par exemple, l’objet d’une interrogation, ou d’une injonction ? Les termes abstraits ont-ils un objet au même titre que les noms communs, ou les noms propres ? La notion d’objet est-elle la même lorsqu’il s’agit d’un langage mental ? Et quel est, dans ce modèle, le rôle dévolu au concept ? La présente intervention, qui s’appuiera sur la lecture d’un certain nombre de textes sanskrits en traduction, interrogera les limites de ce schéma apparemment simple, et en tout cas largement dominant. En mobilisant les critiques qui lui ont été adressées en Inde-même entre le 5e et le 10e siècle par les linguistes et les philosophes, je chercherai à évaluer la pertinence de la notion même d’« objet » pour rendre compte des rapports de la pensée au langage

Jean-Patrick Guillaume, Le corps, l'esprit, la parole, quelques aspects de la représentation du langage chez Jāḥiẓ.

L’humaniste arabe Jāḥiẓ (v. 780-869) a laissé, entre autres œuvres, une somme consacrée à l’art oratoire, le Kitāb al-Bayān wa-l-tabyīn (« Livre de l’expression et du bien-dire »), où il développe une conception originale du langage, très éloignée de celle qu’élaborent à la même époque les grammairiens. L’intérêt de cette conception tient notamment à ce qu’elle s’appuie, tout en l’élaborant, sur une représentation « archaïque » du langage, antérieure à la grammatisation. On s’attachera, dans un premier temps, à reconstituer cette représentation, fortement liée à l’oralité et accordant une place centrale à la dimension pragmatique du langage ; on insistera en particulier sur la notion d’« expression » (bayān), qui permet d’exprimer la relation entre le « sens » (maˁnā), identifié à l’intention de l’énonciateur, et la « forme » linguistique (lafẓ) à travers laquelle cette intention se manifeste. On abordera ensuite l’interprétation qu’en donne Jāḥiẓ, et notamment la place qu’il accorde au corps : le corps comme obstacle à la communication immédiate des pensées et des besoins ; mais le corps aussi comme médiation grâce à laquelle l’« expression » (bayān) donne leur forme et leur efficacité à ces pensées et à ces besoins.

Jean-Marie Fournier et Valérie Raby, Analyses linguistiques et opérations mentales dans la grammaire générale.

Le programme de la grammaire générale consiste à ramener la diversité des formes de l’expression linguistique à l’ordre universel des opérations de l’esprit. Il est cependant évident, pour les artisans de la grammaire générale, que les structures linguistiques et celles de la pensée ne sont pas parfaitement isomorphes, et que la généralité de la grammaire ne peut être atteinte sans tenir compte des contraintes de la communication et de la diversité des langues. Dans ces conditions, quels types d’explications rationnelles les faits linguistiques admettent-ils ? Quelles sont l’efficacité et les limites du postulat selon lequel « la connoissance de ce qui se passe dans nostre esprit, est necessaire pour comprendre les fondemens de la Grammaire » ? Peut-on proposer un inventaire des hypothèses avancées par la grammaire générale pour mettre en relation le particulier des langues et le général de la pensée ? Nous proposerons d’aborder ces questions à partir de l’examen du traitement par les auteurs de grammaire générale des XVIIe et XVIIIe siècles d’une série de questions représentatives : l’impersonnel, les incidentes et la détermination, le temps verbal, les unités sonores, les modalités énonciatives…

Lundi 31 août 2015, Atelier salle 2 : Du sensualisme à la psychologie empirique.

Claudio Majolino, Phénoménologies et psychologies du signe (1830-1908).

La Première Recherche logique de Husserl introduit la distinction célèbre entre expressions et indications. Ce qui est moins connu est qu’une telle distinction s’inscrit dans le contexte plus ample d’un débat autour de la nature des signes inauguré par Bolzano et poursuivi par Brentano et ses élèves Meinong, Höfler, Twardowski, Martinak et Marty. Nous essayerons de reconstruire quelques-uns des thèmes principaux d’un tel débat afin d’en montrer l’importance pour la question du statut épistémologique de la sémiotique.

Didier Samain, La psychologie empirique et la sémantique des linguistes.

La psychologie empirique fait rétrospectivement figure de réaction à l’idéalisme et rejoint, par-delà Wolff, le sensualisme de Locke et Berkeley, lequel présente cependant au moins un trait commun avec le kantisme : le rôle central accordé à l’activité du sujet connaissant. Ceci a conduit Herbart à développer une notion déjà présente chez Kant, celle d’aperception. À défaut de déboucher sur une psychologie expérimentale, cette notion, et la distinction corrolaire entre contenu et genèse des représentations (Vorstellungen), esquissaient du moins une ontogenèse matérielle des significations et de leurs enchaînements. Indépendamment même de la position dominante de l’herbartisme à partir du deuxième tiers du 19 ème siècle, ces conceptions s’inscrivaient suffisamment bien dans les préoccupations diachroniques de la grammaire comparée, et dans son élémentarisme méthodologique, pour fournir aux linguistes un métalangage spontané – dont certains fragments, comme celui de trait pertinent, ont du reste subsisté bien après. Cela toutefois ne fut pas sans conséquences et induisait notamment un lien entre représentation et signification (Bedeutung). Outre qu’elle a contribué à imposer une orientation sémiotique à la réflexion sémantique, il est apparu qu’une telle association posait des problèmes théoriques difficilement solubles. Si les auteurs de la fin du siècle se sont rendu compte que la Vorstellung n’était sans doute pas un bon concept pour théoriser la signification, les solutions de rechange, pourtant disponibles, ont été peu utilisées. Le réalisme logique issu de Bolzano et développé par la philosophie « autrichienne » semble par exemple n’avoir guère suscité l’intérêt des linguistes de l’époque.

Mardi 1er septembre 2015, Conférence salle 1 : Willem J. M. Levelt, Sleeping beauties. What had to be reinvented in psycholinguistics.

Empirical psycholinguistics can pride itself on a rich, though largely forgotten history, which goes back to the end of the eighteenth century. In this lecture I will review a number of Sleeping Beauties in linguistics and psycholinguistics: discoveries, tools and theories that reawakened in modern psycholinguistics, after long periods of somnolence. I came across them when writing A History of Psycholinguistics (2013). Among them are Steinthal's theory of consciousness, Exner's cohort theory, Cattell's mental chronometry, Meringer's speech error based production theory, Wundt's phrase structure diagrams and sign language grammar and Bagley's incremental theory of word and sentence comprehension. Finally I will consider why all this brilliant work went into oblivion and raise the question whether our modern science is immune to wicked fairies.

Mardi 1er septembre 2015, Atelier salle 1 : Esprit et langage: de l'Antiquité à l'Âge classique (suite).

Jean-Louis Labarrière, L'esprit et le langage sont-ils venus aux bêtes dans l'antiquité ? D'Aristote à la polémique entre stoïciens et néo-académiciens.

Si la question de « l’âme des bêtes » fut fort débattue à l’âge classique après l’hypothèse de l’animal-machine, c’est aussi parce que Descartes, reprenant nombre d’arguments stoïciens, entendait rompre radicalement avec Aristote, tout comme les stoïciens eux-mêmes. Par delà cette question, qui est aussi un redoutable problème de définition – âme = vie ou bien âme = esprit ? Voire « Raison » – tout comme aujourd’hui celui de la si controversée notion de « pensée animale », c’est en fait celui du « propre » de l’homme qui est posé. Comme aimait à dire Aristote, les autres animaux (ie que l’homme : ta alla zôa) n’auraient-ils pas les moyens de communiquer entre eux par des signes langagiers (sêmeia) ? Ne partageraient-ils pas, du moins un certain nombre, une quelconque forme d’intelligence que nous pourrions qualifier d’empirico-pratique ? À ces questions, auxquelles Aristote répondait positivement, tout en continuant d’affirmer sans relâche que les autres animaux ne sont pas doués de logos, les stoïciens répondirent négativement en soutenant que tout est « mécanique » en eux, ce qui leur valut une longue et belle polémique avec les néo-académiciens, par définition « sceptiques » – « Qu’en savez-vous donc ? – polémique plus tard récupérée par des néo-platoniciens, tel Porphyre. Mais, entre-temps, le débat s’était déplacé du terrain « scientifique » (Aristote) au domaine « moral » ou « édifiant » (stoïciens, Porphyre).

Laurent Cesalli, le rôle du mental dans la sémantique médiévale.

Partie 2.

Les deux textes fondateurs de la sémantique médiévale--le début du De interpretatione d'Aristote et la définition du signe donnée par Augustin au début du livre II du De doctrina christiana--donnent une explication de la valeur sémantique des mots (ou, plus généralement, des signes) dans laquelle le mental joue un rôle central: les symboles que sont les mots signifient des concepts (Aristote), un signe est quelque chose qui fait penser celui ou celle qui le perçoit à quelque chose d'autre (Augustin). Dans mon exposé, je m'intéresserai aux destins croisés de ces deux idées centrales en précisant, à l'exemple de textes des 12e, 13e et 14e siècles, la fonction exercée par le mental dans l'explication (1) de l'institution des mots (leur "imposition" aux choses), et (2) de ce que veut dire 'signifier' (significare) pour une expression linguistique."

Martine Pécharman, Des images mentales au langage selon Thomas Hobbes.

Mon propos serait de montrer que l'organisation traditionnelle (mots / propositions / syllogismes) conservée par Hobbes pour la présentation de sa doctrine logique suppose une modification radicale de l'héritage aristotélicien et porphyrien-boécien. La diversification même des opérations mentales dépend strictement selon Hobbes de l'analyse des idées individuelles, conçues comme des images totales composées de parties. Après avoir étudié la dépendance du raisonnement selon Hobbes à l'égard de la décomposition et recomposition des images mentales, j'insisterai sur la nécessité d'établir une distinction rigoureuse dans la doctrine logico-linguistique de Hobbes entre sa conception du "discours mental" et sa conception du "langage", qui ne saurait être identifiable pour lui à un "langage intérieur".

Mardi 1er Septembre 2015, Atelier salle 2 : Langage incarné

Barbara Hemforth et P. Knöferle, Embodied Language

This workshop introduces embodiment in language in a broad sense, including visually situated contexts, actions, and motor knowledge. A first session sets the scene for language processing research and introduces classic theories of language processing. It contrasts these language-centric theories with a context-based view of language whereby context includes aspects of the non-linguistic environment. Clearly, context matters for everyday communication. And yet, it has had relatively little impact on models of real-time sentence processing. We discuss potential reasons and introduce a view of psycholinguistics that firmly integrates (visual interrogation of objects and events in) the immediate environment. In a second part this contextual view is illustrated by means of several examples of empirical studies. A third part extends the notion of visual context as discussed in the first two parts towards include motoric aspects, touching on the topic of embodiment more narrowly defined. To which extent does language processing implicate motor representations and effectors? A final part approaches the topic of embodiment and language by analysing language use in action cinema (exemplified by Skyfall) and in dialogue-oriented films (exemplified by Sense and Sensibility). Overall, this workshop provides an introduction to diverse aspects of situatedness and their contribution to theories of language processing

Mercredi 2 septembre 2015, Conférence salle 1 (10H-11H) : Jill de Villiers, What kind of thought needs language ?Jill de Villiers, What kind of thought needs language ?

In this plenary I will review evidence from empirical research on child development about the role that language might or might not play in the development of basic concepts such as space, causality, number, Theory of Mind.  I will then ask which concepts depend on access to the language faculty, using experimental results from adults in implicit concept formation experiments in an eyetracker lab.

 

Mercredi 2 septembre 2015, Conférence salle 1 (11H15-12H15) : Nick Riemer, La linguistique cognitive - histoire matérielle d’une doctrine idéaliste.

Cadre établi sans aucun fondement sérieux en psychologie expérimentale, la linguistique s’inspirant des travaux de Langacker et de Lakoff se présente néanmoins comme théorie « cognitive ». Comment a-t-on fait pour réussir ce coup audacieux, et quels en sont les enjeux idéologiques ? Elaborée lors de l’âge d’or du néolibéralisme américain (1979 : accession de Paul Volcker à la tête de la Fed ; 1980 : élection de Reagan et parution des Métaphores dans la vie quotidienne), à un moment où l’antiscientisme a le vent en poupe dans les humanités, la linguistique cognitive prône un modèle de psychologie individuelle, de caractère essentiellement fantaisiste, pour comprendre la qualité humaine la plus sociale qui soit, le langage. Je proposerai plusieurs interprétations pour saisir les enjeux matériels de ce repli mentaliste, en interrogeant, entre autres, les travaux politiques de Lakoff. Le corpus politique de Lakoff, d’une envergure tout aussi importante que celui de ses travaux de linguistique, mérite qu’on l’aborde du point de vue de l’histoire de la linguistique. Comme j’essaierai de le démontrer, loin d’être une anomalie par rapport à la recherche linguistique « pure », les usages politiques de la linguistique cognitive chez Lakoff suggèrent une interprétation intéressante de certaines tendances sous-jacentes de ce courant de recherche, dans lequel les questions d’expertise – intellectuel, disciplinaire, et politique – et les enjeux matériels, au sein et au delà de l’institution universitaire, assumeront une importance capitale.

Jeudi 3 septembre 2015, Conférence salle 1 : Sylvain Auroux, Les hypothèses cognitives dans les sciences du langage : nécessité et limitations.

Le langage est censé représenter quelque chose, d’où l’idée que l’ontologie ou la structure mentale (quand celle-ci fut conçue indépendamment de celle du monde) peuvent ou doivent jouer un rôle explicatif pour le fonctionnement linguistique. On présentera quelques stratégies allant dans ce sens en particulier dans la grammaire générale et dans la théorie de la vérité. Cela permettra de mettre en lumière leurs limites, notamment dans l’approche de la dépendance syntaxique et dans la reconnaissance de la relativité de l’ontologie.

Jeudi 3 septembre 2015, Atelier salle 1 : Language and theory of mind

J. de Villiers, H. Pearson, Langage de l’esprit et Théorie de l’esprit : comment se développent-ils ?

Jill de Villiers. Language and Theory of Mind.

Hazel Pearson. Referential Opacity: from Theory to Experiments.

L’atelier se déclinera en trois sections, correspondant à l’éventail de travaux contemporains sur les rapports mutuels entre le langage et la théorie de l’esprit. Pour commencer, on se concentra sur la controverse relative à la différence entre théorie de l’esprit implicite et explicite. Quelles sont les compétences des enfants en bas âge, et entraînent-elles la même représentation de l’esprit que chez les enfants de quatre ans, lorsqu’ils comprennent la fausse croyance d’autrui ? Quelles données existent sur le rôle du langage et de la fonction exécutive dans cette évolution développementale ? Dans la deuxième partie de l’atelier, on se focalisera sur les travaux linguistiques. Est-ce qu’il faut voir la complémentation comme centrale, ou est-ce plutôt la récursivité qui prime ? Il existe maints aspects du langage dans lesquels la perspective du point de vue est impliquée – entraînent-ils tous la théorie de l’esprit ? En ce qui concerne la variation linguistique, on peut poser la question de savoir s’il y a des langues dont les répertoires des formes renvoient à une conception différente de l’esprit. Pour terminer cette partie, on se posera la question du rapport entre les problèmes célèbres des phénomènes d’opacité référentielle et la représentation mentale. Dans la dernière partie de l’atelier, on examinera les cas de maladies et de différences développementales pendant l’enfance : comment les conditions de surdité profonde et d’autisme infantile illuminent-elles notre conception des rapports entre le langage et l’esprit ?

Stephanie Durrleman, Linguistic Determinism and Autism Spectrum Disorders

The ability to attribute mental states to others and reason on the basis of this knowledge is referred to as Theory of Mind (ToM) and is known to be impaired in Autism Spectrum Disorders (ASD). Recent theories have identified links between ToM and language skills, in particular grammatical knowledge of sentential complements, with the hypothesis that this component of language may provide a tool for individuals with ASD for figuring out solutions to ToM tasks. However it has not yet been established that the role of complementation in ToM success is privileged, compared to that of such abilities as executive functioning (EF), nor that its impact carries over to instances where ToM is assessed nonverbally. In this talk, I will present 2 studies which test the contributory roles of complementation and executive functions on the performance of children with ASD on both verbal and nonverbal ToM tasks. The results show that complementation, unlike EF, correlates with ToM performance, and that this correlation persists when the ToM task is non-verbal, suggesting that mastery of sentential complements plays a privileged role in ToM reasoning in ASD. Clinical implications will be discussed.

Jeudi 3 septembre 2015, Atelier salle 2 : Psychologie des linguistes/Linguistique des psychologues, à la charnière des xixe et xxe siècles.

C. Puech, Linguistique des psychologues/psychologie des linguistes à la charnière des XIXème et XXème siècles.

Le tournant anti-naturaliste en linguistique  à la fin du xixème siècle n’est pas facilement descriptible. L’une des raisons de cette difficulté réside dans le fait que le recours polémique à la psychologie chez les linguistes rencontre, chez les psychologues un intérêt renouvelé pour le langage en général. Ce qui pourrait passer pour un phénomène de convergence semble paradoxalement surtout avoir été une cause de malentendus multiples comme « en miroir ». Encore faut-il, pour s’en apercevoir, essayer de démêler l’echevau complexe des références croisées, des ignorances mutuelles et des terminologies illusoirement homonymes. Nous essaierons de tirer quelles fils de cet pelote en centrant l’exposé sur deux questions: Dans quelle mesure le guillaumisme peut-il passer pour une psycholinguistique? En quoi la psychopathologie du langage a-t-elle favorisé ou au contraire fait obstacle à son avènement?

P. Monneret, La psychomécanique du langage: une linguistique psychologique ?

Le premier livre de Gustave Guillaume, Le problème de l’article et sa solution dans la langue française donna lieu à un compte rendu qui parut en 1919 dans le Journal des savants. Rédigé par Louis Havet, ce compte rendu commençait par les mots suivants : « Les linguistes sont ordinairement historiens ; M. Guillaume est un linguiste psychologue ». On se demandera donc en quel sens la psychomécanique du langage peut être considérée comme une linguistique psychologique, en interrogeant le statut des opérations mentales impliquées dans l’appareil conceptuel développé par cette théorie, et qui en constituent l’originalité.

G. Bergounioux, Clinique du langage.

A la fin du XIXe siècle, la parole pathologique est apparue comme un révélateur des mécanismes de la pensée et des procédés linguistiques de son expression. De Baillarger à Ombredane, de l'aphasie à la clinique mentale, elle a soulevé des questions qui ont influencé les sciences du langage et les interrogent encore aujourd’hui.

Jeudi 3 septembre 2015, Conférence salle 1 (19H-20H) : Antonia Soulez, Une conception de l'intentionnalité sans contenu de représentation, pénétrée d'esprit sans référence à lui.

Ce titre m’est suggéré par les parenthèses inclusives dans le titre-programme « Philosophie du langage (et de l’esprit) », du livre de François Récanati (Vrin, 2011). Après avoir montré ce que Recanati dit devoir à Wittgenstein pour une sémantique pragmatique, j’essaierai de montrer en quel sens très particulier qui échappe à Recanati, Wittgenstein peut être lu comme un certain « philosophe de l’esprit » dont il ne saurait cependant faire profession au regard de la discipline telle qu’elle est définie par ses représentants. L’argument principal tient notamment au caractère non linguistique de « l’acte de parole » pour Wittgenstein et à la façon dont il faut comprendre le « contexte ». On mesurera à cette occasion en quoi la méthode descriptive de la grammaire philosophique attentive à la « vie des signes » dans l’activité langagière située, se distingue de la discipline linguistique.

Wittgenstein : « Que c’est étrange, la pensée ! » Mais elle ne nous frappe pas comme mystérieuse quand nous pensons mais uniquement quand nous disons comme si c’était rétrospectivement, « Comment est-ce possible ? ». Comme était-ce possible pour la pensée d’avoir  affaire à l’objet-même.  Nous avons le sentiment qu’il en est comme si, par le moyen de cet objet, nous avions attrapé la réalité dans notre filet (Recherches Philosophiques § 428).

Nous essaierons d’abord de la comprendre du point de vue d’un « pragmatisme » dont Recanati se réclame en s’inspirant explicitement de Wittgenstein.

Deux traits :

1- Ce « pragmatisme » n’en est pas un qui l’oblige à postuler une représentation comme représentation de quelque chose (un contenu mental).

2-  Il fait donc comprendre la place de  l’intention au sein de l’activité du langage au nom du principe que « la sémantique est d’emblée pragmatique » (Recanati) car  si « le « contexte » n’est pas un bon argument en faveur du réalisme, (…)  la représentation mentale ne l’est pas en faveur d’un « esprit ».

Ces deux points retiennent un certain « usage » de Wittgenstein pour une philosophie de l’esprit précautionneuse évitant les deux écueils du mentalisme et du réalisme (réification de l’objet représenté), mais au mépris de deux problèmes :

1-Le maintien du dualisme de la relation représentant-représenté que Wittgenstein ne maintiendrait jamais, et qui ouvre la porte à la naturalisation.

2-Le choix de la sémantique pragmatique qui, en s’occupant des actes de parole, laisse la priorité à la fonction sur la référence qui en dépend. Or Wittgenstein « ne s’occupe pas des actes de parole » au sens des linguistes (Austin, Searle)  mais de l’usage dans des contextes au sein du « monde » lequel contient la distinction entre langage et pensée, sans renvoyer aux contenus de cette dernière comme s’ils résidaient en dehors du monde. La version Recanati « nous enferme dans le linguistique », comme il le dit lui-même dans sa préface (p 23). Le contexte (qui pour Recanati détermine la référence) ne se réduit pas à un contexte d’énonciation auquel les composantes d’une expression sont « sensibles ».  Wittgenstein rejette la compositionnalité (Russell) que retient encore Recanati. Et la « sensibilité au contexte » prend un autre sens (Ch. Travis).

Dans un deuxième temps, nous  réintroduirons la dimension de l’esprit  que les cognitivistes de profession lui refusent.

Nous nous attacherons à ce que Wittgenstein entend par intention, représentation, …Et nous mesurerons à partir de là en quoi, s’il l’on voyait en lui un « philosophe de l’esprit », ce serait avec un certain nombre de « déviances ». En particulier, la représentation qui se comprend indépendamment d’une relation entre représentant à représenté donne lieu à des Darstellungsweise par application des signes  qui  en tournant le dos à la prédication d’une chose représentée, met en avant des usages pour des pratiques vivantes situées : « tout signe par lui-même est mort » « Ce qui lui donne « vie ? » c’est l’usage. (Rech. Philos. § 432). La vie n’y pénètre pas de l’extérieur. L’usage seul est sa vie  (Gebrauch Atem ou souffle respirant à travers les mots du dedans ).

- Comment Wittgenstein voit-il l’usage ?

v. § 380 : Comment je reconnais que ce vers quoi je pointe est rouge ? Cela n’a pas de sens d’y répondre. Je n’applique pas des règles à une « transition privée de ce qui est vu aux mots » car alors « les règles planeraient au dessus du vide. L’institution de leur usage manquerait ».

Partant des lectures wittgensteiniennes de Bouveresse (l’intériorité est un « mythe ») et de Descombes (hypothèse d’un « esprit mental-social » qu’il lit dans § 241 Rech. Philos. ), nous dégagerons, à l’écart du « mentalisme » (esprit comme espace intérieur)  une voie qui, sans chercher illusoirement à  saisir l’intérieur comme un objet de connaissance, ni tomber dans le piège d’une lecture de « l’outer » derrière lequel se cacherait « l’inner » (critique descombienne de l’extériorisation de l’esprit, par ex. chez G. Ryle), introduit une méthode de description de formes de vie permettant de comparer signe à signe des manifestations d’une praxis de compréhension dans des situations mises en parallèle.

Voir à propos de Tolstoy, remarque mêlée de 1947 et ma lecture dans Au Fil du motif, autour de Wittgenstein et la musique, Dalatour-France (nouvelle collection philo-musique) 2012.

Cette méthode qui veut être une « description de structure » comme il est dit dans une des Dictées à Waismann et pour Schlick, (2e édition à paraître chez Vrin en 2015) et non une connaissance, fait appel à ce que Valéry a appelé une philosophie « notative » pour l’opposer à l’explication.

La grammaire  (philosophique) se distingue du linguistique.

Vendredi 4 septembre 2015, Conférence salle 1 : David Caplan, Langage and the Representational Theory of Mind : Psychological and Neurological Considerations.

This talk reviews two contrasting views of representations and processes – the “symbolic-procedural” and “associationist” approaches – from psychological and neurological points of view. The first is presented psychologically through a description of the representational theory of mind, with a focus on the nature of representations of concepts and their relations in propositions. Both these topics are directly connected to aspects of language (words and sentences). The second is presented psychologically by a review of the areas in which it has had successes (interactions of factors in online processing of single items, especially in quasi-regular domains) and those where it has not (regular combinatorial processes). Neurologically, claims of the “associationist” approach that it is neutrally realistic are reviewed and the neural realism of this approach is questioned; conversely, one important feature of neural systems that is consistent with the “symbolic-procedural” approach (localist representations) is reviewed. It is concluded that both approaches are equally neutrally (un)realistic and that the choice between them currently depends on psychological considerations.

Vendredi 4 septembre 2015, Atelier salle 1 : Neurolinguistique

David Caplan, Deficits in parsing and interpretation and their neural basis.

This talk presents data regarding the nature of deficits in syntactic comprehension in people with aphasia (PWA) due to vascular disease and the neural correlates of these deficits. The talk presents data from end-of-sentence observations (accuracy) and on-line measures (self paced listening times, eye fixations in the visual world paradigm, cross modal priming effects) to develop hypotheses about the deficits found in these PWA. It reviews deficit-lesion correlations based on studies in chronic and acute stroke, and using MRI and FDG PET imaging. It is concluded that available data are limited and inconsistent and do not converge on any models of the neural correlates of these deficits. Directions for further work are outlined.

Andrea Santi, The role of Broca’s area in syntactic processing

This class focuses on the role of Broca’s area in syntactic processing; a contentious topic in the neuroscience of language.  We will focus on evidence from functional magnetic resonance imaging (fMRI) in healthy participants.  Some basic introduction to neuroimaging and neuroanatomy will be provided. Most of the class will be spent discussing some of the major theories (syntax, specific syntactic operation, memory mechanism) put forth and the evidence in support of them.  We will end with some limitations to this area of study and future directions.

Vendredi 4 septembre 2015, Atelier salle 2 : Critique du mentalisme

Jean-Michel Fortis, Sur le mentalisme de la linguistique cognitive: son contexte intellectuel et sa crypto-philosophie

La première partie esquisse à grands traits une histoire du mentalisme en linguistique américaine depuis Bloomfield jusqu'à la linguistique cognitive. Cette première partie a pour fin de contextualiser l'émergence historique de cette dernière. La seconde partie tente de caractériser les positions mentalistes de la linguistique cognitive. Ces positions font de la linguistique cognitive un certain type de discours, dit ici “crypto-philosophique”, dans la mesure où, quoiqu’elles renvoient à des thèses philosophiques, elles demandent encore à être articulées avec ces thèses d’une façon claire. Lesdites positions concernent les rapports entre perception et structure prédicative, entre signifié et concept; elles regardent aussi le traitement réservé aux “universaux” et à l'abstraction, et la question de l'objectivisme (selon l’expression de Lakoff).

François Rastier, Subjectivation ou objectivation du sens ?

Le mentalisme a un double versant, psychologisant et individualisant avec la phénoménologie, neurologisant et universalisant avec la sémantique cognitive. La tradition dualiste qui sépare le contenu mental de l’expression linguistique conduit à des difficultés majeures, liées à la contradiction entre la multiplicité de langues et l’unicité postulée de l’esprit humain. En sémantique cognitive, les grammaires de contruction ont toutefois réduit le dualisme traditionnel et se sont rapprochées ainsi de la sémiotique de tradition saussurienne qui objective les signifiés indépendamment des représentations mentales. On explorera donc l’hypothèse du couplage avec l’environnement sémiotique, les objets du couplage n’étant ni purement internes, ni purement externes (dans la théorie du stockage), mais cependant pourvus d’une légalité objective – qu’ils partagent au demeurant avec l’ensemble des objets culturels.

Nick Riemer, Quatre moyens d’être antimentaliste en sémantique

Dans cette partie de l’atelier, on explorera certaines critiques notoires de la représentation mentale classique, en les abordant surtout du point de vue de leurs enjeux pour la théorie sémantique. En commençant par un aperçu de quatre pistes différentes desquelles les fondements mentalistes de la sémantique peuvent être remis en question – je les appellerai « l’antipsychologisme matérialiste », « l’anticognitivisme », « l’antirationalisme » etla « cognition située » –, on abordera les raisons pour lesquelles on voit souvent, dans l’antimentalisme, un cadre épistémologique respectueux des contraintes méthodologiques de toute recherche empirique. Dans un deuxième temps, on passera en revue les défenses du mentalisme de Chomsky à l’encontre de Skinner et de Quine. Ce faisant, on aura l’occasion de mettre en rapport des questions relevant du réalisme scientifique de la linguistique et des réflexions d’une portée plus générale sur le soubassement épistémologique et les finalités explicatives de la recherche en sciences du langage.

 

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